Sur l’immense décharge d’Akouédo qui a servi, depuis 1965, de site de dépôt de toutes les ordures d’Abidjan, est en train d’être réalisé depuis 2019, un projet multidimensionnel qui prend en compte les aspects urbain, environnemental et énergétique.
Après une vie professionnelle bien remplie, Camille Niango, 73 ans, profite d’une retraite paisible. Fringant septuagénaire, il ne s’ennuie pas. Il passe désormais le plus clair de son temps avec ses amis de promotion, dans son village, Akouédo. C’est là qu’il est né et a toujours vécu.
C’est à l’heure du déjeuner, ce 15 janvier, que nous le rencontrons. Confortablement assis à l’air libre, l’ancien inspecteur général de l’éducation nationale profite du moment avec quatre de ses compères. La clôture de sa grande cour leur sert d’ombrage, les protégeant ainsi des rayons ultraviolets du soleil de plomb qui s’abat sur Abidjan depuis quelques jours.
Aux plaisirs de la table, ils ont joint les charmes d’une musique extraite de ce qu’on considère comme l’époque classique ivoirienne. Ils écoutent de l’Amédée Pierre. Petites tapes amicales, rires, blagues…Ça se voit qu’ils passent du bon temps. Entre deux bouchées ou deux gorgées de vin, Camille nous raconte son vécu. « Notre voisin gênant a complètement changé. Il est devenu fréquentable, alors on peut bien profiter de la vie (rires) », dit-il, détendu.
Ce voisin gênant dont parle Camille n’est autre que la décharge d’Akouédo. Elle est située à moins de 200 mètres de sa maison, de l’autre côté de la voie publique qui contourne le village. Simple coïncidence ou grâce providentielle, ce site de dépôt des ordures qui l’a « hanté » toute sa vie, a été fermé la même année de son départ à la retraite. C’était en 2019. Camille n’aurait pas espéré mieux.
« Dieu savait que si la décharge-là restait, je n’allais pas m’en sortir puisque j’allais passer désormais tout le temps à la maison (rires). Elle a été créée quand j’étais encore adolescent. J’étais en classe de 6e je crois. Et toute ma vie ça a été les odeurs en n’en point finir, les mouches et les rongeurs. Ce n’était pas facile cette vie. Mais aujourd’hui, je suis heureux de constater que les odeurs et les mouches ont disparu, même s’il y a encore les rongeurs qui nous gênent. Mais on sait que c’est une question de temps. Merci à nos autorités qui ont fini par comprendre que cette décharge devait disparaitre », se réjouit-il.
Ici à Akouédo, village de 6000 âmes situé en plein cœur de la commune de Cocody, le souhait le plus ardent des habitants était la fermeture complète et définitive de la décharge, « parce qu’elle nous rendait la vie pas du tout agréable » comme le souligne Hyacinthe Aguédé, l’ami de Camille. A tort ou à raison, l’homme de 77 ans avance que ce site a joué négativement sur l’espérance de vie des riverains de la décharge. « A mon petit âge-là, je suis déjà le 2edoyen du village. Le doyen, lui a environ 80 ans. Mais je rends grâce à Dieu, car peu sont ceux qui ont plus de 70 ans dans le quartier. L’espérance de vie aurait été plus élevée s’il n’y avait pas cette décharge à côté de nous. Une étude d’impact environnemental qui a été réalisée l’a bien démontré », regrette-il.
Du dépotoir au parc écologique urbain
Ouverte en 1965 et s’étendant sur un site de 186 hectares, la décharge d’Akouédo a été fermée le 4 juillet 2019. Recevant toutes sortes de déchets sans contrôle, elle causait beaucoup de nuisances dont la plus déplorée était les émanations désagréables. Elle est depuis sa fermeture en train d’être transformée en un parc écologique urbain. Un gigantesque projet porté par le gouvernement qui comprendra des zones de loisirs et de sports, un centre de formation aux métiers du recyclage et de l’environnement et une zone de production du biogaz à partir des déchets qui ont été enfouis. Au lancement de ce projet, le Premier ministre d’alors, Amadou Gon Coulibaly avait vivement remercié les populations riveraines pour avoir « accepté de supporter pendant 53 ans les désagréments causés par la décharge ».
Pour Jonas Messou, un jeune d’Akouédo qui gère son salon de coiffure non loin de la barrière de protection du chantier, ce projet est le signe de l’évolution de son village. « Je ne sais pas exactement ce qu’ils sont en train de faire, mais c’est certainement quelque chose de bon. Déjà les odeurs et les agressions ont cessé dans le quartier. Je dors bien et j’arrive à bien travailler sans être gêné par les odeurs. Avant je restais enfermée dans le salon dans les périodes où il fait très chaud ou quand il pleut, car l’odeur était plus forte. Maintenant, je peux m’asseoir dehors ici pour respirer l’air frais quand il n’y a pas de client. Cela dit, il y a encore d’autres défis à relever comme celui de l’insertion socio-économique des jeunes du village et la bonne gestion de nos ordures vu que la décharge est désormais fermée », suggère-t-il.
FAUSTIN EHOUMAN
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme
Les millions de tonnes de déchets qui s’étaient amoncelés ont disparu pour laisser la place à un sol nu qui abritera des équipements urbains (F. EHOUMAN)
Sur la décharge qui a supporté toutes les ordures de la ville d’Abidjan pendant plus de 50 ans, est en train d’être réalisé un grand projet écologique. Un parc urbain où il fera bon vivre. Après cinq ans ans d’exécution, le projet qui vise à dépolluer et revitaliser le site est aujourd’hui bien avancé. Comme a dit Lavoisier, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. C’est déjà le cas à la décharge d’Akouédo.
La montage de déchets qui s’était amoncelée dans le quartier a été modelée, compactée, reprofilée puis recouverte de terre et d’une membrane étanche qui permet de retenir les gaz nocifs. On parle de 18 millions de tonnes de déchets à la fermeture. C’est un sol complètement refait qui s’offre aujourd’hui au visiteur.
Aussi, c’en est totalement fini des odeurs et les bâtiments du parc ont commencé à sortir de terre. Des terrains de sport ont aussi été construits, de même que les turbines et les autres équipements pour la production du biogaz à partir des déchets enfouis. Les espaces verts se profilent également.
A terme, le parc urbain d’Akouédo dont le coût de réalisation est estimé à 96 milliards de F Cfa, aura l’allure à la fois d’une savane, une forêt et des mangroves. Un musée, une médiathèque, des espaces cultures et de sport sont aussi prévus, de même qu’un espace de réinsertion de la biodiversité. Le projet vise in fine à réconcilier les Abidjanais avec le site de la décharge.Le film institutionnel sur le projet est évocateur. Il est intitulé ‘’De l’enfer au paradis’’. Ce paradis est presque devenu réalité.
F. EHOUMAN
Sévérin Gnango (directeur de cabinet du chef du village) : ‘’Nous attendons toujours les promesses de l’Etat’’
« La décharge s’est transformée, nous en sommes heureux, mais notre village, lui, tarde à se transformer. Pourtant des promesses nous avaient été faites par le gouvernement depuis l’installation de la décharge jusqu’à sa fermeture. Il faut que l’Etat honore ses promesses, ne serait-ce que pour nous remercier d’avoir été ceux-là qui ont supporté les déchets des Abidjanais pendant des décennies. Ce sera une sorte de compensation », plaide Sévérin Gnango, directeur de cabinet du chef du village d’Akouédo.
Les promesses faites par l’Etat à Akouédo, à en croire les dignitaires de ce village en plein cœur d’Abidjan comprenaient la construction d’un lycée et d’un marché modernes, le bitumage des principales vois du village. Et en 2006, lorsque les déchets toxiques avaient été déversés dans la décharge, des mesures sociales et environnementales avaient été annoncées par l’Etat en plus de la dépollution. « On devait bénéficier d’un certain nombre d’infrastructures que nous n’avons jamais eues. Ce qu’on nous a promis aussi quand ce projet démarrait n’est pas encore arrivé. Et là, on nous apprend que le parc urbain va être livré dans quelques mois, alors qu’aucune des promesses faites n’a été réalisée. Cela nous inquiète. On se demande si on aura vraiment ce qu’on nous a promis. Nous poursuivons toutefois les discussions avec les autorités compétentes et espérons toujours la mise en œuvre de ces projets qui sont essentiels pour le village et qui nous permettra d’être en phase avec le projet qui est réalisé en face de nous », espère Sévérin Gnango.
Situé en plein cœur d’Abidjan, le village d’Akouédo s’est fortement étendu ces dernières années avec le peuplement incontrôlé de la ville d’Abidjan. Le village manque encore d’infrastructures modernes. Si rien n’est fait pour Akouédo, la livraison du chantier du parc urbain donnera lieu à un gros contraste car on aura en face d’un village à l’allure ancienne et démodée une smart city scintillante.
Reprendre le service de pulvérisation
Cinq ans après le démarrage des travaux de transformation de la décharge d’Akouédo, les populations riveraines disent être déjà satisfaites des premiers résultats. Toutefois, si les travaux en eux-mêmes ne gênent en rien, un autre problème se pose, celui de la gestion des moustiques.
« Avant, tout le quartier était régulièrement pulvérisé afin de chasser les moustiques, les insectes et les rongeurs. Mais depuis que les travaux ont commencé, ce service s’est arrêté, alors que le problème n’est pas encore réglé. On ne déverse plus les ordures, certes, mais les moustiques sont encore présents dans nos maisons. Ils sont devenus encore plus nombreux parce qu’on les délogés de leurs nids. Il faut que ce service de pulvérisation reprenne, sinon on sera tout temps malade », plaide Dominique Koutouan, le président des jeunes du quartier.
Et d’ajouter : « et même quand les travaux finiront, il faudra continuer à pulvériser pendant encore plusieurs mois avant d’arrêter. Il faudra penser à améliorer le service de collecte des ordures actuel de sorte que le village lui-même ne devienne pas la nouvelle décharge. Car il arrive des fois où les camions de ramassage des ordures tardent à venir à cela cause des désagréments ».
F. EHOUMAN