FAUSTIN EHOUMAN

Les chutes de la Nawa : Ce joyau touristique oublié

Plus grande attraction touristique de la région éponyme, les chutes de la Nawa peinent pourtant à recevoir des visiteurs. Abandonné et à la merci des orpailleurs clandestins, le site non aménagé continue tout de même de susciter de l’espoir. Reportage.

Ce n’est pas encore la crue, mais le spectacle sur le Sassandra est saisissant ! Des vagues tempétueuses atteignant quatre mètres de hauteur déferlent sur d’immenses rochers granuleux et bruns. Le grondement s’entend sur un rayon de 500 mètres. Mais, il n’est pas assourdissant. Les cascades sont pittoresques, l’air est frais, le ciel est bleu azur et le chant des oiseaux se mêle aux mouvements du feuillage des arbres qui se balancent au gré du vent… Ce décor enchanteur semble être sorti des pinceaux d’un artiste habile et adepte de couleurs chatoyantes. En plus de procurer des effets apaisants, le spectacle qu’offrent les chutes de la Nawa incline à la contemplation.

Et pourtant, en ce début août ensoleillé, ce site touristique phare de la ville de Soubré, à près de 600 Km d’Abidjan, ne reçoit aucun visiteur. Enfin, à part nous qui le découvrons. « Disons-nous la vérité, qui aurait envie de venir dans un endroit aussi difficile d’accès et qui n’offre rien d’autre d’intéressant que ces vagues ? », interroge Olivier Gnonto, quelque peu dépité. C’est ce guide local qui nous y a conduits. Il est de Kpéhiri, le petit village qui jouxte le site dont il est  le garant traditionnel. L’équipe comporte un autre guide, Justin Glaré et un responsable de la direction départementale du tourisme de Soubré, Ezéchiel N’Guessan.

En effet, situées à trois kilomètres à la sortie de la ville de Soubré et à une bonne centaine de kilomètres de San Pedro, les chutes du fleuve Sassandra ou chutes la Nawa, constituent l’attraction touristique majeure de la région éponyme. S’il n’est pas si éloigné que cela du centre-ville, ce site est difficile d’accès. L’atteindre relève d’un véritable parcours du combattant. Car, après un kilomètre de voie bitumée, il faut encore marcher près de deux kilomètres sur une piste étroite et escarpée, qui traverse des plantations de cacao. Après cela, il faut encore se frayer un chemin entre les ronces et les épines de l’abondante végétation, puis passer entre  des roches humides pour enfin atteindre le point d’eau, en aval. Inutile de préciser que le port de chaussures à crampons est indispensable. Ainsi qu’une bonne condition physique.

« Pourquoi faire souffrir autant le visiteur, alors qu’avec juste un peu d’investissement, on peut rendre praticable la voie d’accès. Ne serait-ce qu’en la reprofilant pour qu’on puisse venir à moto ou à vélo ou même à la marche, mais sans risquer de se blesser. C’est, en grande partie, à cause de cette situation que les visiteurs et même les populations résidentes ne veulent plus venir aux chutes. Ensuite, il y a l’absence d’aménagement du site. Cela fait plusieurs semaines que je n’ai pas été contacté par un visiteur », se désole Justin Glaré.

« Sinon, tout visiteur de Soubré, en temps normal, doit venir voir les chutes. Mais, dans les conditions actuelles, personne n’aura envie de venir. Et de notre côté, il nous est difficile d’en faire la promotion. Depuis quelques mois que j’ai pris fonction ici, je n’ai encore été contacté par aucun touriste désirant voir les chutes », renchérit Ezéchiel, avant d’interpeler les autorités locales : « c’est ce site qui a donné son nom à la région. Il constitue à ce titre un endroit emblématique qui devrait être une priorité pour les décideurs. C’est leur région, un bien que Dieu leur a offert. Et le minimum qu’ils puissent faire est en prendre soin en l’aménageant. Cela fera vivre le tourisme local en créant des opportunités d’emploi pour les jeunes de la région ».

Nid des orpailleurs clandestins

Entouré d’une végétation bien verte et d’énormes rochers plantés dans ce décor féerique, le site est composé de cascades hautes de cinq à six mètres. Le cadre n’étant pas aménagé, il n’y a actuellement aucun espace de vie. Il est à l’état brut. Cette situation qui s’ajoute aux difficultés d’accès fait que l’endroit n’attire pas les visiteurs. Et pourtant, il y a quelques années en arrière, ce site en attirait des milliers qui pouvaient bénéficier sur place de certains services.

Abandonné, le site est désormais à la merci des orpailleurs clandestins. (F. EHOUMAN)

« Des années en arrière, les gens venaient nombreux et restaient longtemps. Ils pouvaient s’asseoir sous les arbres, se reposer, manger en groupe… passer du bon temps.  Dans la période de janvier à février, les touristes européens venaient, parce que nous les jeunes du village, soutenus  par la mutuelle, avions aménagé l’espace. Tout était propre et il y avait même des gardiens qui veillaient sur le site de jour comme de nuit. Mais, faute de soutien et d’une bonne politique, nous n’avons pas pu continuer cette gestion et le site a été abandonné. Or, cela nous permettait de gagner notre pain quotidien », raconte Justin. Et il poursuit : « c’est pourquoi, notre plus grand souhait est qu’il soit réhabilité, car cela nous permettra de gagner notre vie. Lors des réunions de la mutuelle, on continue d’en parler. Le village voudrait l’aménager, mais on n’en a pas les moyens. Le coût du projet s’élève à plusieurs dizaines de millions de F Cfa ».

En l’absence de touristes, le site est laissé à la merci des orpailleurs clandestins. Le sous-sol à cet endroit serait riche. « Quand ils viennent, il font n’importe quoi. Ils creusent partout, salissent le coin, polluent l’eau et s’en vont. Regardez vous-mêmes ce qu’ils ont fait ici. S’ils viennent régulièrement faire cela, c’est parce qu’ils savent qu’ils ne rencontreront personne qui les inquiètera », se désole Olivier.

Sur la rive du fleuve, on peut voir des trous d’un diamètre allant jusqu’à 6 mètres et d’une profondeur atteignant 5 mètres laissés par ces derniers. Ils étaient là cette nuit. Les dégâts sont énormes. Ce qui attriste le guide. « C’est bien dommage. Il ne faut pas oublier que cet endroit est aussi sacré pour nous », dit-il, révolté.

Le génie protecteur, dernière attraction

En effet, les chutes de la Nawa ne sont pas qu’un lieu touristique, c’est aussi un endroit hautement spirituel et de pèlerinage où des personnes viennent se recueillir et rechercher les faveurs de la providence et des mânes. Un peu plus en aval de ces rapides bouillonnants, se trouve une source considérée comme sacrée par le village de Kpéhiri et par l’ensemble du peuple bakoué. Les initiés y effectuent des rituels et communiquent avec le génie bienveillant, Nawa, qui selon les habitants de la région vit dans l’eau. C’est lui qui a donné son nom au site ainsi qu’à toute la région. « Nawa apporte du succès, de l’abondance et la fertilité aux natifs ainsi qu’à tous ceux qui viennent l’invoquer », affirme Justin.

Le caractère sacré des lieux est attesté par la présence de morceaux de tissu blanc attachés çà et là aux branches des arbres, et de bouteilles d’alcool vides, très certainement des offrandes faites au maitre des lieux. « Des gens viennent de partout en Côte d’Ivoire et en Afrique pour rechercher des grâces auprès du génie protecteur qui veille sur ce site. De hautes personnalités de notre pays viennent régulièrement faire leurs vœux. Aujourd’hui, c’est seulement cette catégorie de visiteurs que le site reçoit », ajoute Olivier.

Lieu de retraite spirituel pour certains, destination de loisirs et de divertissement pour d’autres, les chutes de la Nawa malgré sa grande beauté n’attire pas grand monde. Et, « même si nos autorités ont abandonné l’endroit, nous, au niveau du village, continuons de croire qu’il renaitra un jour », espère-t-il.

FAUSTIN EHOUMAN

Après des études de géographie à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan et des diplômes en musique et communication obtenus à l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (Insaac)Faustin Ehouman décide finalement de bâtir une carrière de journaliste, ce métier qui l’a toujours passionné[…]

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