Grâce à un accord de financement de 40 milliards de F Cfa avec la France, l’Etat de Côte d’Ivoire est en train de reconstruire le grand marché de la deuxième ville ivoirienne, qui avait totalement brûlé en 1998. Où en est le chantier ?
Le grand marché de Bouaké est en train de renaître de ses cendres. Et tout a été pensé pour qu’il ne connaisse plus d’incendie. En effet, ce marché de détail, le plus grand de la deuxième ville ivoirienne, avait totalement brûlé en février 1998 et n’avait pas été reconstruit. Les commerçants s’étaient réinstallés dans des échoppes de fortune. Mais il a encore connu les flammes en août 2019 et en janvier 2020, avant que les travaux de sa reconstruction totale ne démarrent en avril 2020, soit 24 ans après qu’il soit parti en fumée.
Les études techniques ont duré trois ans (2017-2020). Si elles ont pris autant d’années, c’est surtout pour éviter que le marché qui sera reconstruit ne brûle à nouveau. « L’Etat a tiré les leçons du passé », indique Abdramane Thiero, directeur de cabinet du maire de Bouaké, par ailleurs coordonnateur de la cellule locale d’exécution du projet. Son équipe et lui nous ont fait visiter le chantier, ce 15 septembre 2022.
La sécurité garantie dans la conception
Le futur marché qui comptera 8 000 places a déjà commencé à sortir de terre. Les Vrd et les fondations achevées, les travaux sont actuellement aux élévations. La structure est en béton armé et en acier, des matériaux solides qui résistent bien au feu. Où que l’on soit sur ce marché, il y a un accès à une allée ou une route carrossable. La maîtrise d’œuvre a travaillé dans une logique de porosité. De nombreux couloirs d’évacuation de plusieurs mètres de large séparent les différents modules et les cinq blocs qui constituent ce marché. Tous les sept mètres (en largeur) et les 26 mètres (en longueur), il y a une grande allée de dégagement carrossable qui joue le rôle de coupe-feu.
Un bâtiment de sécurité abritant un poste de police, un de sapeurs-pompiers et un dispensaire est construit tout au centre. La charpente métallique garantit une résistance face à d’éventuelles flammes. Les câbles utilisés sont anti-feu et tout le câblage est fait de façon aérienne tout en haut de la charpente, pour éviter toute manipulation électrique par les commerçants. Elles ne seront réservées qu’à l’entreprise de gestion du marché qui sera recrutée par la mairie.
Chaque box aura son compteur électrique. Ces box sont conçus de sorte à contenir, s’il en arrivait, tout départ de feu pendant 30 minutes au moins avant qu’il ne se propage. Et justement pour éviter toute propagation de feu, des Ria (Robinets d’incendie armé) ont été installés à l’entrée de chaque couloir. Deux grands réservoirs d’eau constamment remplis seront installés aux extrémités est et ouest du marché. Ils sont prévus pour les besoins sanitaires et aussi pour faire face à tout incendie. Enfin, un système de paratonnerre et un autre de détection d’incendie permettront aux pompiers qui feront la garde sur le marché avec un équipement moderne, de veiller efficacement sur tout le périmètre.
Exploitation responsable
Jusque-là, il s’agit de la conception. Dans la phase d’exploitation, les enjeux de sécurité seront aussi pris en compte. Selon Abdramane Thiero, certaines activités seront carrément interdites sur le marché. Notamment les activités nécessitant de créer un foyer, comme la confection de nourriture et la fabrication d’objets d’art. Toutefois, la restauration et les activités artisanales pourront y être menées, mais seulement en termes de service (la vente). Seront également interdites les constructions en bois ainsi que les produits inflammables.
L’une des premières conditions d’accès est que le commerçant souscrive à une assurance en responsabilité. Le bâtiment lui-même bénéficiera d’une assurance décennale par l’entreprise qui la construit. « Ce projet est né d’un incendie et donc la première idée qui nous guide est que le futur marché ne doit plus brûler. Les sapeurs-pompiers et l’Office national de la protection civile (Onpc) ont visé tous les plans avant le démarrage de la construction. Ces plans ont été élaborés selon les normes internationales et suivant trois axes : l’évacuation rapide en cas de panique, la stabilité au feu de la structure et les moyens de lutte contre les incendies », explique Abdramane Thiero. Et de souligner : « notre préoccupation, c’est que le sinistre incendie ne survienne jamais, mais si toutefois il survenait, qu’il soit circonscrit le plus rapidement possible. Nous ne devons plus jamais revivre la situation de 1998 où un simple départ de feu a cramé tout un marché ». Les commerçants de la ville attendent impatiemment la finalisation du projet. Ils espèrent que le coût d’accès sera à leur portée.
FAUSTIN EHOUMAN
Plus grand marché couvert d’Afrique de l’Ouest
Bâti auparavant sur trois hectares, le grand marché de Bouaké qui est situé au quartier Dougouba a été bien agrandi dans sa nouvelle configuration, s’étendant désormais sur neuf hectares et s’élevant sur un seul niveau. Ce sera le plus grand marché couvert de la Côte d’Ivoire et de toute l’Afrique de l’Ouest en termes de superficie et de capacités. Indiquent les responsables de la Cellule locale d’exécution du projet.
Il compte cinq compartiments indépendants les uns des autres, séparés par des voies de 8 à 22 mètres de large. Un bloc est dédié au textile, deux autres à l’alimentation et aux marchandises générales, un aux services et le cinquième aux vivriers frais.
Sa reconstruction est estimée à 40 milliards de F Cfa, financée par l’Agence française de développement (Afd) à travers un prêt souverain à l’Etat de Côte d’Ivoire. Ce qui a justifié la présence du Président français Emmanuel Macron aux côtés de son homologue ivoirien Alassane Ouattara lors du lancement officiel des travaux en avril 2020.
La première livraison d’ici la fin de l’année
A ce jour, le taux d’exécution des travaux est de 95% pour ce qui est des Vdr (Voiries et réseaux et divers) et 18% pour les bâtiments. 406 ouvriers sont à la tâche. Vingt entreprises ivoiriennes sous-traitent sur ce projet avec l’entreprise exécutante, Mota-Engil Côte d’Ivoire, qui a réalisé le stade de la Paix. Le chantier devrait être totalement livré en juillet 2023 selon le délai contractuel, mais l’entreprise exécutante promet d’achever trois compartiments d’ici fin 2022.
Un plan de construction des marchés à l’étude
La problématique des incendies de marchés en Côte d’Ivoire concerne au plus haut point l’Union des villes et communes de Côte d’Ivoire (Uvicoci), car en Côte d’Ivoire la construction et la gestion des infrastructures de marché sont confiées exclusivement aux collectivités. Elles disent ne pas avoir suffisamment de moyens pour bien jouer ce rôle. « S’il y a autant d’incendies, c’est tout simplement parce que les élus n’ont pas les moyens d’y faire face. Le financement de la construction et de la gestion des marchés dépasse largement les budgets des communes. Ce qui fait que les marchés sont construits et gérés avec très peu de moyens, dans un certain désordre, et donc sans respecter les normes de construction de marchés modernes », explique Dr Elvis Azié, coordonnateur de projets à l’Uvicoci.
Et d’ajouter en conséquence : « l’Uvicoci est en train d’étudier, avec l’appui de notre tutelle et l’implication du ministère du Commerce, la possibilité d’avoir un plan de construction des marchés au niveau national. Ceci permettra de respecter les critères de réalisation des marchés, de sorte qu’ils soient plus sécurisés et qu’ils répondent à la typologie des marchés en fonction de la densité des activités commerciales dans les différentes zones du pays. Cela doit être une problématique nationale ».
A en croire Elvis Azié, l’Uvicoci a bien pris la mesure de la problématique. « C’est une priorité pour nous. Et c’est d’ailleurs ce que nous avions en première ligne lors des états généraux des marchés en décembre 2020. Nous avons parlé des incendies, mais également d’autres problématiques tels que les cas de vol et les mauvaises conditions d’hygiène. Nous allons saisir l’Ordre des architectes dans notre démarche, car le marché est aussi une composante de façade urbanistique de la zone où il est situé », indique-t-il.
Les incendies sont certes l’aspect le plus spectaculaire et le plus dramatique de la problématique globale des marchés en Côte d’Ivoire, mais Dr Elvis Azié pense que la question de l’hygiène et de la santé est beaucoup plus grave et mérite aussi qu’on s’y arrête.
F.EHOUMAN
Yamoussoukro attend son tour
La problématique des marchés est cruciale à Yamoussoukro, pourtant capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire. La ville de 340 000 habitants située à 242 kilomètres d’Abidjan abrite de grandes institutions de la République et des infrastructures modernes. Elle dispose aussi de suffisamment d’espaces exploitables pour la réalisation d’infrastructures de développement.
Aucun marché construit
Malgré tous ses atouts et l’importance qu’elle a pour le pays, la ville de Yamoussoukro n’a jusque-là aucune infrastructure de marché digne de ce nom.Les quelques marchés de la ville sont presque tous informels, à commencer par le grand marché qui ne cesse de brûler du fait de sa saturation et de son manque criant d’équipements. Les nombreux commerçants de la ville s’installent et exercent dans l’anarchie. Il y en a qui ont carrément occupé des routes. Le maire Gnrangbé
Kouacou, qui nous a reçus à son bureau le 16 septembre 2022, explique cette situation par la faiblesse des moyens mis à sa disposition.
« Il nous faut un nouveau marché comme ce qui est en train d’être construit à Bouaké, puisque le seul existant est surpeuplé. Pour construire un grand marché moderne, il nous faudra pas moins de six milliards de F Cfa, ce qui représente un peu plus du double du budget total de la mairie », explique le maire.
L’insuffisance de moyens financiers est donc ce qui explique qu’il n’y ait jusque-là aucun marché construit à Yamoussoukro. « C’est aussi la raison pour laquelle il y a à chaque fois des incendies au grand marché. Il faut que le gouvernement nous apporte une aide conséquente pour nous permettre de jouer pleinement notre rôle », plaide l’édile de la ville.
Des projets, mais pas de financement
Il existe pourtant des projets viables, qui attendent d’être financés. En effet, la mairie de Yamoussoukro a prévu trois sites, en plus de celui du grand marché, où elle projette de construire de véritables marchés. Un site d’un hectare au quartier N’Zuessy, un autre de deux hectares derrière la Fondation Félix Houphouët-Boigny et le dernier, le plus grand, à Kokrénou.
D’une superficie de 37 hectares, ce dernier site a été prévu depuis l’époque du Président Houphouët-Boigny. C’est sur ce site que la mairie concentre toute son attention. Il doit abriter plusieurs infrastructures modernes dont un marché « digne de la capitale », une gare routière, un commissariat et un centre de santé.
A défaut d’obtenir l’investissement de la part de l’Etat, la mairie de Yamoussoukro étudie la possibilité de le réaliser en Bot (Buildoperate and transfert). « Nos demandes incessantes auprès de la tutelle ne trouvent pas de réponse favorable depuis, or le besoin se fait insistant. Nous avons donc entrepris des discussions avec des opérateurs économiques dont certains semblentpartants pour le projet », affirme le premier magistrat de la ville. En attendant le financement pour sa construction, des commerçants ont commencé à occuper anarchiquement le site.
F. EHOUMAN