FAUSTIN EHOUMAN

Artisanat : L’Institut du pagne baoulé, l’espoir des tisserands

Le métier du tissage du pagne baoulé est encore traditionnel et informel, maintenant ses milliers d’acteurs dans une certaine précarité. En passe d’être déployé, un ambitieux projet visant à mettre l’activité en orbite et à améliorer les conditions de vie des tisserands attend des partenariats. Notre dossier.

 

« Nous serions très heureux de vous compter parmi nos partenaires pour la réalisation et le fonctionnement de l’Institut du pagne baoulé que nous projetons de construire ici à Tounzuébo. C’est un projet qui nous est très cher et pour lequel nous recherchons de solides partenariats ». Lorsqu’au détour de ses échanges conviviaux avec ses hôtes de marque, le Prof. Justin Koffi évoque le projet, les nombreux tisserands autour de la table sont tout ouïe. C’est ce point qu’ils attendaient. Aristide Konan, secrétaire général l’Association des tisserands de Tounzuébo, en donnera succinctement la raison. « Notre espoir réside dans ce projet »

L’activité du tissage du pagne occupe plus de 90% de la population masculine active dans les villages de tisserands.

Le Prof. Justin Koffi, directeur général de l’Autorité de régulation du système de récépissés d’entreposage (Are), qui est actuellement l’un des illustres cadres de Tounzuébo, village de tisserands situé à 24 kilomètres de Yamoussoukro en allant à Tiébissou, recevait en effet ce 7 juillet, à sa résidence située à l’autre bout du village, la reineJuliet Elikwu du RubisiKingdom (un royaume au Nigeria). Accompagnée de quelques collaborateurs, elle était venue découvrir le pagne baoulé de Tounzuébo dont elle avait entendu parler. L’universitaire avait alors prêté son grand jardin pour l’exposition de la circonstance. Il a profité de l’occasion, comme il le fait à chaque fois, pour vendre le projet de création de l’Institut du pagne baoulé dont il est l’un des plus grands défenseurs.

 

Moderniser la vente, sauvegarder la technique

 

Ce projet est porté par trois entités : le Conseil pour le développement du Nananfouê (Cdna) dont Justin Koffi est le président, le District autonome de Yamoussoukro et l’Association des tisserands de Tounzuébo. L’Institut du pagne baoulé, explique Justin Koffi, sera un espace de promotion, de commercialisation, de transmission du savoir-faire et de sauvegarde de la mémoire créative du pagne baoulé. Il s’agira de construire des bâtiments avec des équipements modernes et adaptés.

« C’est un véritable mall du pagne baoulé que nous ambitionnons de construire ici à Tounzuébo, en bordure de la nouvelle voie. La qualité, le poids, la taille, les motifs, toutes les indications seront bien marquées sur les pagnes et le prix sera indexé. Il y aura des entrepôts réfrigérés fonctionnant avec des panneaux solaires pour une meilleure conservation des pagnes, mais également des guichets de banques et une bourse qui permettra de commander et de se faire livrer le pagne. En tout cas, ce sera quelque chose de très moderne qui profitera aux tisserands, à la région et à tout le pays », promet Justin Koffi.

Et il ajoute : « hormis la promotion et la vente du pagne, l’autre objectif que nous visons à travers l’institut est de pouvoir sauvegarder la technique de conception du pagne. Nous avons introduit dans ce projet l’axe de la formation, du développement et de la transmission des compétences autour de cet art ancestral. Il faut qu’il y ait des experts du pagne baoulé, des chercheurs, des industriels, des commerciaux, qui puissent faire vivre et prospérer cette filière ».

 

Début 2024, démarrage des travaux

 

L’espace est déjà réservé pour la construction de l’Institut. Et la pose de la première devra être faite d’ici la fin de l’année. Le démarrage effectif des travaux, quant à lui, se fera début 2024. Mais, à présent, l’urgence, c’est d’avoir des partenariats multiformes aussi bien pour la réalisation que pour l’exploitation du futur institut.

« Il nous faut des partenaires pour nous aider à réaliser ce projet. Et quand l’institut sera ouvert, il nous faudra encore des partenaires nationaux et internationaux pour une bonne commercialisation des pagnes et le renforcement des capacités des tisserands », explique Justin Koffi.

Le pagne baoulé et les accessoires qu’il sert à fabriquer.

A l’en croire, l’institut sera construit, certes, à Tounzuébo, mais sera destiné à tous les tisserands de la région. « Il faut que la sueur de nos parents soit récompensée à sa juste valeur. Et que le pagne baoulé dépasse nos frontières pour conquérir le monde. Nous ferons tout notre possible pour qu’avant la fin de l’année, le première soit posée », annonce-t-il.

Le site de l’institut est situé en bordure de la nouvelle autoroute Yamoussoukro-Tiébissou, l’idée étant de le rendre visible de loin et facilement accessible. En fait, les tisserands de la zone sont enclavés depuis que la nouvelle autoroute a été ouverte à circulation, puisque la plupart des villages de tisserands du pagne baoulé sont situés en bordure de l’ancienne voie qui, elle, n’est plus vraiment fréquentée. Une situation défavorable pour ces artisans qui n’arrivent plus à écouler facilement leurs produits, comme le regrette Aristide Konan. « Avant, quand les voitures passaient par ici, on arrivait à bien vendre nos pagnes, mais maintenant ce n’est plus le cas puisqu’on ne nous voit plus. C’est pourquoi nous espérons de tout cœur que ce projet voie le jour et nous permette d’avoir plus de marchés », dit-il, reconnaissant.

 

Sortir de la misère

 

L’institut viendra donc redonner de la visibilité aux tisserands et à leurs produits. Le pagne baoulé, rappelons-le, est un tissu artisanal fait à la main. Beaucoup apprécié tant en Côte d’Ivoire qu’à l’extérieur, ce pagne est porté aussi bien par les hommes que les femmes et sert à la confection de vêtements et de divers accessoires de mode tels que les boucles d’oreilles et les bracelets. L’institut donnera aussi un nouveau souffle à l’activité du tissage du pagne longtemps confinée dans ses caractères traditionnel et informel. Ce qui ne permet pas aux tisserands de vivre convenablement de leur métier et d’avoir une décente.

Ils sont des milliers à pratiquer cet art qu’ils ont appris de leurs pères. Dans presque tous les villages situés dans le même rayon que Tounzuébo, entre autres Sakiaré, Menou, Bomizambo, Kondeyaokro et Assè N’Gattakro c’est l’activité principale des hommes. Et ils sont confrontés aux mêmes réalités. La création de l’Institut est un rêve longtemps caressé par ces artisans qui souhaitent sortir de l’ombre et de la misère.

En effet, comme l’explique BehLam’s Kouakou Vincent, tisserand à Sakiaré, par ailleurs secrétaire général adjoint du bureau exécutif national de la Chambre des métiers de Côte d’Ivoire, il est difficile pour le tisserand de se réaliser pleinement avec ce métier dans les conditions dans lesquelles il est exercé. En l’en croire, le salaire mensuel du tisserand n’atteint pas les 80 000 F Cfa.

« Le tisserand du pagne ordinaire tisse au maximum dix pagnes dans le mois. Pendant la haute saison qui part de fin octobre à février, le prix peut atteindre 12 000 F Cfa. Et dans les périodes creuses, il descend jusqu’à 8000 F Cfa. Alors que pour tisser dix pagnes, il faut un investissement d’au moins 50 000 F Cfa dans le matériel. Quand on fait un calcul rapide, on est à un gain mensuel qui oscille entre 30 000 F Cfa et 70 000 F Cfa. Avec ce salaire, on ne peut pas s’en sortir. Ceux d’entre nous qui arrivent à bien s’en sortir ont une activité parallèle comme le commerce ou l’agriculture. C’est pourquoi nous saluons ce projet qui pourra nous permettre d’avoir plus de marchés et de bien vendre nos pagnes », espère BehLam’s Kouakou.

La relève est assurée.

Elysée Boni, secrétaire général de la Coopérative des tisserands de Bomizambo, lui, parle d’un métier de survie. « Beaucoup préfèrent le considérer comme un travail en attendant comme on le dit en Côte d’Ivoire. Certains sont endettés parce qu’ils n’arrivent pas à écouler leurs produits et ont besoin d’argent pour vivre. Construire un institut c’est une bonne initiative, mais il faut que l’Etat nous aide à relever nos grands défis qui sont la bonne organisation des acteurs, la maitrise des coûts des intrants et l’accès aux marchés extérieurs », souhaite-t-il.

FAUSTIN EHOUMAN


Le Nigeria, potentiel partenaire

La reine Juliet Elikwu du Rubisi Kingdom (Nigeria) a eu l’occasion d’apprécier de plus près le pagne baoulé et de faire quelques achats (DR)

 

Le Nigeria pourrait être l’un des premiers partenaires du futur Institut du pagne baoulé qui va s’élever à la lisière du village de Tounzuébo, en bordure de l’autoroute Yamoussoukro-Tiébissou. Lors de la visite à Tounzuébo de la reine Juliet Elikwu du Rubisi King dom, un royaume du Nigeria, le sujet a été évoqué. Et ce projet semble avoir intéressé l’hôte de Tounzuébo qui a dit vouloir être une ambassadrice du pagne baoulé qu’elle aime tant.

L’hôte de Tounzuébo est tombée sous le charme des produits à base du pagne baoulé.

« J’adore tout ce qui représente l’âme et la culture de mon continent. Le pagne baoulé en fait partie. Il est important pour moi de le promouvoir dans notre royaume et dans tout le Nigeria. Je suis venue donc encourager les tisserands et acheter quelques pièces de pagne. L’idée pour moi, est qu’on établisse plus tard une coopération culturelle et un lien commercial formel entre le Rubisi King dom et la Côte d’Ivoire afin promouvoir la coopération culturelle et aider au développement de cette activité », avait-elle déclaré. Sa proposition avait été vivement saluée par les tisserands à travers leur porte-parole de la circonstance en l’occurrence le Prof. Justin Koffi, qui est par ailleurs le promoteur principal du projet. « Nous allons dès maintenant établir les bases d’une négociation qui aboutira, nous l’espérons, à un partenariat gagnant pour toutes les parties à commencer par les tisserands », avait-il annoncé. 

 

Tounzuébo, capitale naturelle du pagne baoulé

 

C’est à Tounzuébo que sera construit l’Institut du pagne baoulé qui servira à tous les villages tisserands de la zone. Ce village de 4000 âmes est situé à 24 kilomètres de Yamoussoukro en allant à Tiébissou. A Tounzuébo, l’activité du tissage du pagne occupe plus de 90% de la population masculine active. Elle est exclusivement réservée aux hommes. Les femmes, elles, travaillent dans les champs, transforment le manioc et font de l’attiéké.

Voici ce que les tisserands de Tounzuébo arrivent à réaliser avec le pagne baoulé.

Les tisserands sont estimés à 1600, plus quelques dizaines d’autres qui exercent l’activité de manière temporaire. Ce qui fait de Tounzuébo le plus gros village de tisserands du pagne baoulé en Côte d’Ivoire, devant des villages comme Bomizambo, Kondéyaokro ou encore Sakiaré.

Grâce à l’ingéniosité des tisserands, le pagne baoulé fait à Tounzuébo peut être personnalisé avec des écritures et toutes sortes de dessins.

Le nombre n’est pas le seul avantage comparatif de Tounzuébo ; il y a aussi l’expertise technique et artistique. Les tisserands de ce village en ont développé une des plus aboutie. Ils sont, en effet, capables d’insérer désormais des écritures et des dessins en tissant le pagne, tout en gardant ses motifs caractéristiques. De sorte qu’il est possible de personnaliser le pagne du client en y inscrivant, par exemple, son nom ou en y reproduisant des images de son choix. In fine, le pagne baoulé confectionné à Tounzuébo est devenu un véritable clavier numérique qui permet aux tisserands d’exprimer toute leur créativité et leur génie à la satisfaction du client final.

F. EHOUMAN


Justin Koffi (promoteur du projet) : ‘’ Je veux redonner à mon village ce qu’il m’a apporté’’

Pr Justin Koffi

 

Qu’est-ce qui vous motive à vous mettre au-devant du projet de l’Institut du pagne baoulé ?

Mon implication dans ce projet est juste un devoir de reconnaissance envers ceux grâce à qui je suis devenu ce que je suis aujourd’hui. Mes parents et mes aïeux ont tissé le pagne baoulé qui nous a permis de vivre et de se construire. Le moins que je puisse faire avec la position que j’ai, c’est de redonner à ce village ce qu’il m’a apporté. Et pour moi, la meilleure action à poser pour mes parents tisserands est de les faire connaitre et de les aider à professionnaliser leur activité afin qu’ils en tirent le maximum de profit. C’est pourquoi, ce projet figure parmi les priorités du Conseil pour le développement du Nananfouê (Cdna) dont je suis le président.

Quel sont vos objectifs à travers cet engagement ?

Ce que je souhaite le plus, c’est qu’il y ait une exposition mondiale du savoir-faire des tisserands de toute la région afin que le pagne baoulé soit mieux connu et mieux valorisé. Et que cela permette aux tisserands de mieux vivre de leur art. Si nous commençons à valoriser ce que nous produisons, les gens de l’extérieur nous prendront au sérieux. Mon rêve est de voir le monde entier en train de magnifier cet art traditionnel, qui n’a rien à envier à ce que font les artisans d’Europe ou d’Orient. Et cela contribuera à renforcer l’attrait touristique de notre pays. Hormis ça, il y a un objectif stratégique derrière ce projet et tout le soutien que le Cdna apporte aux tisserands : sédentariser nos jeunes gens et leur permettre de contribuer au développement local, plutôt que de les laisser partir ailleurs. Il faut les aider à faire ce qu’ils savent faire de mieux, afin qu’ils puissent s’assumer pleinement et avoir une vie décente.

Comment concevez-vous le rôle d’un cadre pour sa région ?

C’est un devoir de vie d’avoir de la charité quand on a eu la chance de se faire une bonne place au soleil. Les cadres d’une localité doivent contribuer à tout ce qui peut permettre à leur communauté d’être épanouie. Ils doivent aider à élever le niveau de vie de leurs parents.  Ils doivent contribuer à implémenter localement ce que le gouvernement mène comme action de développement au plan national. Je pense que cela ne doit pas être une option, mais un devoir. Et c’est ce que j’essaie de faire chez moi à Tounzuébo.

PROPOS RECUEILLIS PAR FAUSTIN EHOUMAN


Après des études de géographie à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan et des diplômes en musique et communication obtenus à l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (Insaac)Faustin Ehouman décide finalement de bâtir une carrière de journaliste, ce métier qui l’a toujours passionné[…]

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