FAUSTIN EHOUMAN

Reportage sur Abobo (2ème partie): Le musée, une vie et une culture à promouvoir

Le musée : une vie, une culture à promouvoir !

Efforts de toilettage, gros ouvrages, Abobo aborde un virage qui va tourner la page de son visage d’antan. Le développement s’y installe à grands pas. Et les Abobolais l’accueillent à cœur joie. « Ici à Abobo, la précarité, la violence, la pauvreté financière et intellectuelle et le sous-développement ne sont plus les mots qui doivent nous caractériser. Le gouvernement pense à nous et les choses sont en train de changer positivement ici. J’en suis très heureux et désormais fier de dire que j’habite à Abobo. Maintenant, on ne dit plus ‘‘Abobo la guerre’’, c’est désormais ‘‘Abobo la joie’’ comme on peut lire sur le bâtiment là-bas », s’exclame fièrement Habib Traoré.

Le bâtiment dont il parle et qu’il nous indique surplombe le secteur du rond-point de la mairie aussi appelé Abobo gare. C’est de ce secteur qu’est partie l’extension de la commune à partir des années 1970. C’est donc l’un de ses espaces emblématiques. Est écrit en lettres moulées sur une des façades de l’immeuble ‘’Abobo la joie’’. Comme pour signifier que c’est cela le nouveau slogan que les Abobolais veulent pour leur commune.

C’est à cet endroit que nous rencontrons Habib Traoré. La trentaine révolue, il est un étudiant en année de thèse de linguistique et réside depuis son enfance au quartier Banco, situé à quelques encablures du rond-point de la mairie.

En ce début d’après-midi du 20 mai, il semble pressé par le temps. Son petit sac en bandoulière descendant sur sa hanche, tenant dans sa main droite sa serviette pour s’éponger le visage et dans sa main gauche des documents qui n’ont pas eu de place dans son sac, Habib Traoré marche au galop en direction du Musée des cultures contemporaines Adama Toungara (Mucat) qui fait face à la mairie de l’autre côté du chantier de l’échangeur. S’il va aussi vite, c’est pour deux raisons. Primo, il cherche à fuir le soleil de plomb qui s’abat fortement sur Abidjan ces derniers temps et les klaxons gênants  accompagnés de la fumée suffocante des nombreux gbakas qui font leur ballet sur la route à la lisière du chantier de l’échangeur. Secundo, il est en retard sur son agenda de la journée. Il va rejoindre des amis qui l’attendent au musée pour travailler. Il n’a pas trouvé d’inconvénient à ce que nous l’accompagnions jusqu’au musée.

« Nous avons beaucoup de travail aujourd’hui. Nous devons terminer la rédaction du synopsis d’une pièce de théâtre que nous a confiée une troupe qui organisera bientôt un grand spectacle tournant ici à Abobo. On préfère venir travailler ici à la bibliothèque de ce musée car elle nous offre tout ce dont nous avons besoin en termes de confort, d’outils et de sources documentaires pour avancer vite dans le travail. D’autant plus que le coût de l’abonnement est vraiment à notre portée », soutient-il.

Une œuvre de l’architecte Issa Diabaté

Grande façade légèrement incurvée suivant parallèlement sur près de 150 mètres le tracé du rond-point de la mairie. La couleur marron foncé renforce l’éclat de la seule inscription, en blanc, sur le bâtiment : Musée des cultures contemporaines Adama Toungara. L’architecture du Mucat est d’une simplicité raffinée. C’est d’ailleurs l’esthétique reconnue à celui qui l’a conçu, à savoir l’architecte ivoirien Issa Diabaté.

De grandes œuvres d’artistes de renom sont exposées au Mucat.

 

Avec ses grandes et luxueuses salles d’expositions, ses sculptures et ses tableaux qui en jettent, l’intérieur est tout aussi impressionnant. En attendant que le futur échangeur ne vienne certainement lui damer le pion, le Mucat qui est bâti sur une superficie de 3 500 m² est actuellement le fleuron du rond-point de la mairie d’Abobo.

Jamais on n’aurait cru voir un musée d’une telle architecture à Abobo. En tout cas, pas de sitôt, quand on sait à quel niveau de développement Abobo se situe par rapport aux autres communes du district d’Abidjan. Abobo  faisant partie des cités les plus en retard en matière d’infrastructures modernes et là où règnent le plus la précarité et la pauvreté. Et c’est ce qui est en train de changer aujourd’hui.

Précisons que le Mucat est le plus grand musée de la Côte d’Ivoire et le troisième en Afrique dédié à l’art contemporain. L’espace sur lequel il est bâti, abritait une ancienne gare de la compagnie Utb, dans le quartier Marley considéré autrefois et même encore aujourd’hui par certains comme l’un des quartiers les plus dangereux d’Abidjan.

« Quand on a commencé à construire ce musée, on n’y croyait pas et on n’en voyait pas la nécessité. Mais aujourd’hui, grâce à cela, le regard des gens sur notre quartier est en train de changer positivement », assure Dorcas Adiko, membre du groupe de travail d’habib, résidant au quartier Marley.

Les priorités des Abobolais, à première vue, n’étaient portées que sur les besoins primaires. Ce qui n’est pas tout à fait exact. « Il faut avouer qu’ici, à Abobo, on était très limité dans nos hobbies. Quand on se retrouvait entre amis, c’était pour jouer soit au maracana soit au jeu de dames ou souvent aux cartes. C’était difficile pour moi et plusieurs de mes amis qui aimons les œuvres de l’esprit de nous épanouir. Heureusement, le musée est venu régler en grande partie ce problème. On n’est plus obligé d’aller au Plateau, à Cocody ou à Treichville pour satisfaire ce besoin », témoigne Habib Traoré.

‘‘ Quand une vendeuse (…) ou un apprenti-gbaka entre, on se dit qu’on a atteint l’objectif ’’

Ses amis et lui ne sont pas les  seuls dont les habitudes ont changé grâce au Mucat. « Il nous fallait un cadre qui allait nous permettre de faire une pause dans notre quotidien, réfléchir, nous exprimer, nous connecter à de bonnes énergies et nous projeter avec assurance vers le futur », appuie William Kouadio, un jeune cadre de l’administration, également abonné au Mucat.

Nathalie Varlet Meplon, directrice du Mucat.
Nathalie Varlet Meplon, directrice du Mucat.

In fine, après l’ouverture de ce musée en mars 2020, l’on s’est vite rendu compte qu’il y avait à Abobo un réel besoin d’expression, une vie et une culture à promouvoir. Un pari osé et réussi donc pour Adama Toungara, l’ancien maire d’Abobo et actuel Médiateur de la République, propriétaire du Mucat.

« Les gens commencent à avoir le réflexe de venir ici. Je ne pense pas qu’Abobo mérite toujours sa mauvaise réputation. Il ne faut plus craindre de venir à Abobo, bien au contraire. Il y a beaucoup d’artistes, d’énergie créative à tous les niveaux, que ce soit dans la danse, le théâtre, la musique ou les arts plastiques. Nous travaillons à rapprocher au maximum la culture des populations défavorisées et enlever le stéréotype selon lequel l’art est pour les nantis. Quand une vendeuse, une ménagère ou un apprenti gbaka entre au musée, on se dit qu’on a atteint l’objectif », explique Nathalie Varley Meplon, la directrice du musée.

FAUSTIN EHOUMAN

Après des études de géographie à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan et des diplômes en musique et communication obtenus à l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (Insaac)Faustin Ehouman décide finalement de bâtir une carrière de journaliste, ce métier qui l’a toujours passionné[…]

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