Dans cet entretien exclusif, le psychologue Guillaume Ané alerte sur la progression du Burn-out, cette maladie qui affecte gravement la santé mentale au travail, en Côte d’Ivoire. Comment on arrive en situation de burn-out et comment l’éviter ? Le spécialiste donne de précieuses astuces. Interview.
Comment arrive-t-on au burn-out ?
Le burn-out ou l’épuisement de l’individu au travail est le résultat d’une exposition à un stress chronique. Il est lié à la dégradation du rapport qu’un salarié peut avoir à son travail. Quand le travailleur est beaucoup stressé, il perd toute son énergie. Il y a trois moments ou dimensions dans le burn-out : l’épuisement à proprement parler, ensuite le sentiment de déshumanisation et enfin la baisse du sentiment d’accomplissement personnel. Il faut que tout travailleur apprenne à gérer son stress.
Qui peut déclarer un travailleur en état de burn-out et à quel moment ?
L’individu en état de burn-out est souvent le malade qui s’ignore. Mais dans son attitude et ses relations interpersonnelles, on verra un changement drastique et il ne pourra plus travailler. Il pourra, par exemple, arriver au bureau et ne saluer personne. Il deviendra froid, va se replier sur lui-même et montrer un total désintérêt pour le travail. C’est tout cela qui va attirer l’attention. A ce moment-là, il devra consulter un médecin du travail. C’est lui qui pourra déclarer ou non que le travailleur est en état de burn-out.
Est-ce un phénomène alarmant en Côte d’Ivoire ?
On ne dispose pas encore de statistiques précises sur le nombre de travailleurs touchés par ce syndrome, mais en tant que spécialiste du domaine, je peux dire qu’il y a beaucoup de cas en Côte d’Ivoire. Et le nombre est croissant, même si la plupart des malades ne savent pas de quoi ils souffrent. C’est un phénomène répandu. Le mal est bien présent.
Y a-t-il des secteurs d’activité plus à risque ?
Dans tous les secteurs d’activité, il y a des cas de burn-out. Mais partant de mon expérience, je citerai premièrement le secteur bancaire. Ensuite, le secteur de la santé et tous les autres secteurs. L’incertitude quant à la stabilité de l’emploi est aussi une cause de stress. On observe cela dans les sociétés d’État. Il y a beaucoup de cas de burn-out dans ces entreprises. Et cela est dû au stress que vivent les travailleurs à chaque fois qu’il doit avoir de nouvelles nominations. Plus on se rapproche de l’échéance, la plupart des travailleurs ont peur et sont stressés, surtout ceux qui occupent les postes de direction. Beaucoup d’entre eux craignent de perdre leur poste et leurs avantages. Et donc quand l’annonce des nominations est faite et que l’échéance dure, le niveau de stress monte. Et lorsque le stress se chronicise, cela conduit facilement à l’épuisement professionnel.
Quelles sont les solutions au burn-out ?
C’est la prise en charge. Mais la prévention reste le meilleur moyen de lutte. Il faut agir en amont sur les facteurs du stress au travail. Mais aussi sur l’individu afin de modifier sa perception de l’environnement. Parce que le stress naît d’une transaction entre l’individu et son environnement. Ce qui est stressant pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. La durée d’un traitement va dépendre de l’individu et de son niveau d’altération. Pour certains, le traitement peut aller du repos jusqu’à un accompagnement médicamenteux.
Existe-t-il des personnes prédisposées à cela ?
Oui, il y a des prédispositions. Les plus exposées sont les personnes qu’on qualifie de fonceurs ou de battants. Ces personnes qui veulent toujours prouver et qui travaillent sans relâche. Et en général, ce sont les jeunes. Ce qui fait qu’on a appelé le burn-out la maladie du battant. Il y a aussi ces personnes qui ont vécu un événement douloureux comme la perte d’un proche. Celles-ci peuvent facilement passer du burn-out à la dépression lorsqu’elles sont exposées à un stress chronique.
Quelle est la différence entre le burn-out et la dépression ?
La différence, je dirai, est relative au degré d’affection. Le burn-out, s’il n’est pas vite pris en charge, peut déboucher sur la dépression, tout comme le stress chronique débouche sur le burn-out. Il faut aussi préciser que la dépression n’est pas forcément liée au burn-out ; elle est avant tout liée à la perte de quelque chose.
De quel droit jouit le travailleur en état de burn-out ? Peut-il être licencié ?
Si on se réfère au code du travail de 2015, l’employeur ne peut pas interrompre le contrat d’un salarié parce que ce dernier est en épuisement professionnel. C’est une maladie professionnelle. L’État fait de l’employeur le garant de la qualité de vie de l’employé au travail. L’employeur doit créer les conditions pour cela. Et si cela n’est pas fait et que l’employé décompense, ce sera du fait de l’employeur. Et donc s’il licencie son employé, ce sera qualifié de licenciement abusif. Les entreprises gagneraient donc à se faire accompagner par des psychologues du travail, car la meilleure façon d’agir en santé, c’est la prévention.
Entretien réalisé par FAUSTIN EHOUMAN