Il a été le lauréat, le 5 août 2022, du Prix national d’excellence de la meilleure initiative en matière de valorisation des produits agricoles, spécialité maïs. A 54 ans, Joseph Désiré Banny veut compter parmi les acteurs clés du secteur agro-alimentaire en Côte d’Ivoire. Une lecture attentive de cet entretien enrichissant avec ce transformateur de produits agricoles inspire la construction du développement local et d’une prospérité durables. Interview.
Vous faites partie de ces Ivoiriens exemplaires, qui ont reçu cette année 2022 des mains du Chef de l’État le Prix national d’excellence. Que représente ce prix pour vous ?
Cette année, ce sont les filières maïs, banane et palmier à huile qui ont été retenues pour le Prix d’excellence, au titre du ministère de l’Agriculture. Ma société, le Groupe Oban, a été lauréate dans la filière maïs et le prix est intitulé Prix national d’excellence de la meilleure initiative en matière de valorisation des produits agricoles. Ce prix est comme une piqure de rappel de la responsabilité qui est la mienne dans la marche de notre pays vers le développement. Je dois continuer de me surpasser en répondant toujours mieux aux attentes des Ivoiriens. Je remercie vivement le Chef de l’État, les ministres de l’Agriculture et du Commerce qui me font cet honneur en me distinguant à nouveau.
Cela fait la quatrième fois que vous recevez un Prix national d’excellence, dans différentes catégories. Quel est votre secret ?
Nous faisons l’effort pour nous faire remarquer de la meilleure façon, à travers notre travail acharné et l’innovation. En effet, en 2021, j’ai été lauréat du troisième Prix de la meilleure entreprise exportatrice. En 2019, c’était le deuxième Prix dans la même catégorie. Mais c’est en 1999 que j’ai reçu mon tout premier prix, et c’était le Prix d’excellence du meilleur jeune exploitant de Côte d’Ivoire.
Apparemment, cela fait bien longtemps que vous avez commencé…
Oui, je suis dans le secteur depuis longtemps quand même. J’ai d’abord suivi une formation en mécanique générale. Mais, depuis toujours, j’avais un amour pour l’agriculture, ce qui m’a amené à suivre plusieurs formations afin d’acquérir des connaissances solides du secteur agricole.
Après le prix que j’ai reçu en 1999, je me suis rendu en France, où je travaillais dans le domaine de la mécanique. Et là-bas, pendant mes promenades dans les rues de Paris, j’ai constaté que la France pouvait constituer un bon débouché pour nos produits locaux.
C’est ainsi que je me suis lancé dans la distribution de nos produits locaux en France. Et j’ai suivi, entre temps, d’autres formations dans l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire là-bas. C’est ce qui m’a inspiré à revenir en Côte d’Ivoire en 2010 afin de me lancer dans la transformation des produits agricoles en produits manufacturés. Quand je suis rentré, j’ai encore suivi des formations et des stages dans la transformation des produits locaux, avant de monter mon entreprise.
Par quoi avez-vous commencé ?
Dans un premier temps, j’achetais les matières premières, le maïs, le mil et le manioc, que je faisais transformer en sous-traitance. Ensuite, je faisais l’ensachage dans ma cuisine. Quelque temps après, j’ai monté une petite unité de transformation à Bingerville, que j’ai agrandie plus tard quand j’ai commencé à avoir de grosses commandes.
J’ai très vite formalisé mon entreprise car je ne voulais pas travailler dans l’informel. Je suis rentré au pays en mai 2010 et déjà en octobre de la même année, je possédais tous les papiers de mon entreprise. Nos premiers clients étaient les pharmacies et les boutiques. Ensuite, ont suivi les grandes enseignes.
Aviez-vous déjà une marque ?
Oui, on avait déjà trouvé un nom pour nos différents produits. Et ce nom c’est Mô-yô-fê qui signifie en baoulé, ma langue maternelle, ‘’Que ça te plaise’’.
Et sur quoi mettiez-vous l’accent pour que vos produits plaisent ?
Il s’agissait pour nous de satisfaire une clientèle qu’on avait déjà constituée. L’objectif visé à travers tous nos produits était de simplifier la vie aux gens, surtout à nos mamans qui nous font la cuisine. Nous proposons des produits qui entrent dans nos habitudes de consommation, comme l’attiéké, les bouillies de maïs et de mil, le tô ou le placali. En fait, les produits transformés sont sous forme de granulés et de farine, très facile à préparer. Cela allège la tâche dans la cuisine.
Comment les Ivoiriens ont-ils accueilli vos produits ?
Ils ont accueilli nos produits avec étonnement et beaucoup d’enthousiasme, puisqu’ils étaient innovants, attrayants et répondaient à une demande qui se faisait de plus en plus grande. Nous avons mis l’accent sur le packaging, ce qui donnait l’impression que c’était des produits importés. Il était un peu rare de voir des produits locaux emballés de la sorte; ce qu’on voyait était pour la plupart présenté de façon rudimentaire.
On parle depuis quelques années de la cherté de la vie en Côte d’Ivoire. Comment pouvez-vous contribuer à la lutte qui semble encore difficile à remporter ?
Les farines locales utilisées en boulangerie peuvent grandement contribuer à réduire la cherté de la vie. Et c’est là l’un de nos plus grands projets. Nous avons déjà testé nos produits dans la boulangerie et la pâtisserie et les résultats étaient hautement satisfaisants. On peut faire le pain avec la farine de manioc ou celle de patate, des gâteaux avec la farine de banane. Nous sommes convaincus qu’avec nos produits locaux transformés, nous pouvons nous affranchir du blé et des autres farines qu’on importe. La crise du blé causée par la guerre en Ukraine devrait nous faire prendre conscience de notre trop grande dépendance vis-à-vis de l’extérieur et nous motiver à faire une bonne valorisation de nos produits locaux.
Avez-vous un projet concret en la matière ?
Oui. Notre projet, c’est d’ouvrir une chaîne de boulangeries qui n’utiliseront que nos farines locales à la place du blé. Je précise que les produits locaux, à la différence du blé, sont sans gluten, et donc plus faciles à digérer. C’est sur ce projet que nous concentrons nos efforts actuellement, car nous sommes convaincus qu’il contribuera à une meilleure valorisation des productions locales. Tous les acteurs des chaînes de valeur y trouveront leur compte. Cela fait des années que l’on parle de la transformation des produits locaux, mais nous sommes toujours au stade des discours. On devrait passer aux actes. Et je pense qu’avec ce projet, on aura fait un grand pas, surtout s’il est repris par d’autres boulangeries. Nous l’avons présenté au ministre du Commerce et de l’Industrie, qui l’a beaucoup apprécié. Les jours suivants, il a diligenté une mission ministérielle à notre usine. Elle a aussi apprécié nos locaux et nos process. On attend jusque-là le retour, pour concrétiser le projet.
Avez-vous une attente particulière de la part du gouvernement ?
Oui, nous attendons du gouvernement qu’il nous facilite l’accès au financement. Car, il s’agit d’un grand projet dont nous ne pouvons financer nous-mêmes la réalisation. C’est à Yamoussoukro que nous voulons installer la première boulangerie, parce que nous sommes en partenariat avec l’école de boulangerie de Yamoussoukro.
Nous avons songé à mettre en place ce projet, car nous avons remarqué que les boulangeries en Côte d’Ivoire rechignent à prendre les farines locales, malgré toutes les preuves qu’on leur donne sur les avantages d’utiliser ces farines. Et lorsque les boulangers verront que c’est possible de fabriquer le pain et les autres produits à 100% avec les farines locales et qu’ils constateront que les Ivoiriens aiment ces produits-là, ils seront convaincus de prendre nos farines. Ainsi, les producteurs ivoiriens auront un grand débouché pour leurs produits, dont une bonne partie pourrit dans les champs.
Pensez-vous que les Ivoiriens qui sont habitués au pain fait avec le blé vont aimer le pain de manioc ou de maïs ?
Bien-sûr, ils aimeront et ça marchera. Même si cela pourra prendre un peu de temps pour qu’ils s’habituent. Nous avons déjà confectionné, exclusivement avec les farines locales, du pain et plusieurs autres produits de pâtisserie que nous avons fait goûter à plusieurs personnes. Elles ont adoré et c’est très encourageant. Nous avons aussi mené des enquêtes auprès d’un échantillon de la population ivoirienne et les résultats sont tous favorables. Et bientôt, nous allons commencer à faire déguster le pain de manioc dans des restaurants à Yamoussoukro. Nous sommes très avancés sur ce projet. Actuellement, nous réfléchissons au prix à appliquer. Il doit être plus bas que celui pratiqué dans les boulangeries.
Ce projet a-t-il été motivé par ce Prix d’excellence que vous avez obtenu ?
Les prix que j’ai reçus sont de véritables sources de motivation et d’inspiration. Mais, en ce qui concerne ce projet de boulangerie, il s’inscrit dans la suite logique de notre projet conçu depuis une quinzaine d’années. Dans un premier temps, j’étais agriculteur. Après, je suis passé à la transformation et maintenant, je veux passer à la transformation en produit fini. Je veux me retrouver dans les assiettes des Ivoiriens, et depuis le début, c’était cela mon but. Et je pense que le moment est favorable. Il existe un plan pour la valorisation et la transformation de nos produits agricoles et la crise en Ukraine qui a fait flamber le prix du blé. Nous pensons que c’est une opportunité. C’est pour cela que je tiens à mon projet de boulangerie avec lequel, j’en suis convaincu, je pourrai devenir un champion national dans l’agro-alimentaire. J’ai 54 ans aujourd’hui et je veux qu’un jour mon nom figure au panthéon de ceux qui auront contribué au mieux à la promotion et à la valorisation des produits locaux en Côte d’Ivoire.
Combien d’emplois avez-vous créés avec votre entreprise ?
Il y a une dizaine d’emplois directs permanents et près d’une centaine d’emplois indirects. Je suis entouré de personnes volontaires et déterminées comme moi. Mon fils aîné fait partie de mes employés. C’est lui et les enfants de mes collaborateurs qui hériteront de cette entreprise que nous souhaitons pérenne.
UNE INTERVIEW RÉALISÉE PAR FAUSTIN EHOUMAN