Lazeni Ouattara, coordonnateur du Projet d’assainissement et de résilience urbaine (Paru) explique dans cet entretien les implications de la décision du gouvernement de déclarer les quartiers Bonoumin et Synacassci zones d’utilité publique. Interview.
Lors du Conseil des ministres du 13 juillet, le gouvernement a classé les quartiers Synacassci à M’Pouto et Bonoumin en zones d’utilité publique. Qu’est-ce que cela signifie ?
Le gouvernement a décidé de réduire les risques d’inondation de plus en plus élevésdans le district d’Abidjan. Les bassins de Bonoumin et de M’Poutoont été identifiés comme des zones chaudes. Les cités résidentielles dans ces zones-là connaissent des inondations à n’en point finir, qui causent souvent des morts.Pour pouvoir traiter ces deux zones efficacement, l’Etat se devait deles déclarer en zone d’utilité publique afin de permettre le bon déroulement des travaux prévus. En effet, il faut sécuriser l’emprise et permettre aux entreprises exécutantes de réaliser les travaux dans les meilleures conditions, tout en préservant le cadre de vie des populations environnantes. En gros, la zone d’utilité publique est une emprise que l’Etat remet dans le domaine public afin de permettre la réalisation des travaux.
Il ne s’agit donc pas d’un déguerpissement tous azimuts ?
Non pas du tout. Il n’est pas question ici de déguerpir les habitants des quartiers concernés, mais seulement de libérer les emprises des canalisations qui seront construites. Car les engins et les travailleurs doivent pouvoir circuler pour accomplir les différentes tâches. Il s’agit donc de préserver l’emprise du projet et d’indemniser les personnesqui seront impactées avant le démarrage des travaux.Il s’agira de construire des ouvrages de drainage des eaux pluviales qui, à terme, mettront à l’abri des inondations environ 300 000 personnes sur les deux bassins identifiés. Il était, en effet, inadmissible que la situation perdure ainsi dans une commune comme Cocody. Il fallait permettre aux habitants d’avoir un cadre de vie sûr et agréable et de vivre en toute quiétude en saison pluvieuse. Notre objectif principal est de protéger les vies humaines.
Les personnes impactées ont-elles déjà été indemnisées ? Quelle est la situation sur le terrain ?
Nous avons reçu des instructions claires de notre tutelle à savoir le ministre de l’Hydraulique, de l’Assainissement et de la Salubrité, Bouaké Fofana,sur la prise en compte de la dimension sociale et humaine dans ce projet. Ainsi, des campagnes de sensibilisation nous ont permisde recenser les personnes et les biens installés dans les emprises du projet. Nos consultants et experts en mesure de sauvegarde sociale leur ont expliqué le projet et ses implications, et ont procédé àl’évaluation des biens qui seront impactés. Tous ceux qui sont impactés seront bien entendu dédommagés avant que les travaux ne commencent. Car l’humain est placéau cœur du projet. Il faut préciser qu’aussi bien à Bonoumin qu’à M’Pouto, ce sont plus les terrains nus qui seront touchés par les travaux. L’élaboration du Plan d’action de réinstallation (Par) des personnes impactées est en phase d’achèvement.
Le tracé des canalisations ne nécessitera donc pas la destruction de bâtisses ?
Vu que la dimension sociale et humaine et au cœur du projet, nous avons dû analyser différentes solutions techniques et nous avons opté pour les plus optimales, c’est-à-dire les solutions qui préservent les biens et limitent au maximum les déplacements de personnes. C’est pourquoi les canalisations seront construites dans le passage naturel de l’eau, c’est-à-dire là où elles s’écoulent déjà. Et elles vont se déverser dans la lagune.
Ces canalisations serviront-elles également à l’écoulement des eaux usées ?
Le projet a été conçu de sorte à séparer les eaux de pluies aux eaux usées provenant des ménages, parce que les ouvrages qui seront réalisés ne sont pas destinés à recevoir les eaux usées. Nous construirons d’autres canalisations qui, elles, permettront d’intercepter toutes les eaux usées et qui seront conduites à une station de traitement dont la construction est aussi prévue dans le cadre du projet, avant qu’elles ne soient rejetées dans la lagune. Ce qui permettra de préserver et d’assurer une certaine durabilité aux ouvrages de drainage des eaux pluviales et de préserver les populations riveraines des odeurs que pourrait causer le rejet des eaux usées.
Combien de temps prendra la réalisation de tous ces ouvrages ?
Ce sont des travaux d’une durée allant de 12 à 15 mois. Nous sommes actuellement en phase d’appel d’offre. Les travaux devraient pouvoir commencer avant la fin de l’année. Notre objectif est que d’ici la prochaine saison des pluies, une solution soit proposée aux populations afin de garantir leur sérénité.
Parlant de la sérénité des populations, celles de N’Dotré et d’Anonkoua-Kouté affirment dormir sur leurs deux oreilles, après que des canalisations ont été construites dans ces deux quartiers, toujours dans le cadre du Paru. Qu’est-ce que cela vous procure personnellement comme sentiment ?
J’ai le sentiment du devoir accompli. Je suis heureux d’avoir contribué à préserver des vies humaines et améliorer leur cadre de vie. C’est ce que le gouvernement et notre ministre nous demandent. Les pluies qui sont tombées ont éprouvé les ouvrages, qui ont montré qu’ils fonctionnent bien. Etant maintenant à la fin de travaux, nous allons faire un aménagement paysager le long des canalisations afin de permettre aux populations de profiter de ces ouvrages. Nous allons aussi déployer une campagne de communication et de sensibilisation visant à expliquer aux populations que les ouvrages réalisés ne sont pas faits pour les déchets et les eaux usées.
Le changement de comportement est donc un axe important pour le projet…
Bien évidemment ! Pour tous les projets que nous réalisons, nous mettons l’accent sur la durabilité et le changement de comportement des populations bénéficiaires. En cela, nous avons introduit un outil très important qu’est le système d’alerte précoce. Grâce à ce système, on pourra avoir des prévisions très précises sur les zones à risque d’inondation et de mieux préparer la riposte en cas de sinistre. Nous intervenons aussi sur la question de la planification urbaine. Avec le ministère de la Construction, nous allons élaborer des plans d’urbanisme de détail de sorte à changer de paradigme dans le mode d’occupation des sols à Abidjan. Pour les villes de l’intérieur, nous projetons la réalisation de schémas directeurs d’assainissement et de drainage afin de planifier la programmation de l’assainissement et du drainage dans au moins cinq communes de l’intérieur.
La gestion des ordures restera tout de même un grand défi…
La deuxième composante du Paru est la gestion des déchets. Pour ce faire, nous allons construire à Abidjan le deuxième centre de valorisation et d’enfouissement technique des déchets, ce qui permettra de booster la politique de recyclage des déchets. A l’intérieur du pays, nous allons déployer de nouveaux services publics des déchets. Le système de collecte des ordures sera réorganisé et modernisé avec l’installation d’infrastructures de pointe qui serviront aussi de valoriser les déchets. Ces nouveaux services de gestion des déchets seront déployés dans deux zones. La première concerne les villes de Toumodi, Yamoussoukro, Tiébissou, Djébonoua et Bouaké. Et la deuxième les villes de Korhogo, Sinématiali, Ferkessedougou et Ouangolo. Les dossiers d’appel d’offre sont en cours de préparation pour tous ces projets. Nous allons recruter les opérateurs d’ici le 1er trimestre 2024 pour commencer les travaux.
Après Abobo, laprochaine commune annoncée pour bénéficier de ce type de projetsest Yopougon, avant même Bonoumin et Synacassci. Quels sont les secteurs de Yopougon qui seront concernés ?
A Yopougon, nous aurons environ quatre kilomètres de canalisation à construire dans les quartiers de Gesco et de Port-Bouet 2. Ces canalisations vont se retrouver dans le canal de Kimi qui est déjà construit. Les populations impactées par les travaux ont déjà été indemnisées. L’entreprise exécutante est en train d’installer sa base vie, et les travaux vont démarrer début-septembre pour un délai d’exécution de 10 mois. A la même période, des travaux similaires débuteront aussi à Grand-Bassam où la problématique des inondations est aussi très forte. Nous allons intervenir sur des bassins et des sous-bassins versants.
ENTRETIEN REALISE PAR FAUSTIN EHOUMAN