FAUSTIN EHOUMAN

Santé mentale au travail : Briser le silence sur le Burn-out !

Ange Freddy

Beaucoup l’ignorent encore. Et certains le confondent avec la dépression. Le burn-out ou syndrome de l’épuisement professionnel et mental est pourtant une maladie professionnelle qui fait des dégâts. Si on n’en parlait pas assez en Côte d’Ivoire, des voix ont commencé à se faire entendre sur le sujet.

 

Quand elle réussit à vaincre son burn-out, ce mal qui l’avait presque anéantie, Nelly Laubhouet Mendonça ne fait pas comme les autres. Elle choisit de ne pas garder le silence sur cette période qu’elle considère comme la plus terne de sa vie. Pour elle, c’est une expérience à partager, convaincue que son témoignage sur la souffrance qu’elle a vécue peut sauver d’autres personnes. Et pour son retour d’expérience, elle opte pour le livre. Un choix d’expression sagement pensé, adossé à la volonté d’impacter le plus durablement possible et nourri par le désir de Nelly, bientôt quarantenaire, de « remercier Dieu » qui l’a aidée à se remettre de ce syndrome dit de l’épuisement professionnel et mental.

« J’étais au bord du gouffre. J’ai dû m’éloigner de mon travail quotidien pendant de longs mois puisque j’étais arrivée à un stade où je n’étais plus productive. J’avais des palpitations répétées et des tâches apparaissaient sur mon corps. Je pleurais à tout moment et pour rien. Mais, je ne savais pas de quoi je souffrais. Je savais néanmoins que j’étais beaucoup stressée. Avec l’aide de mon médecin et la grâce de Dieu, j’ai réussi à m’en remettre. Mon histoire avait marqué plus d’un. Il m’a alors été recommandé de l’écrire afin de permettre au plus grand nombre de bénéficier de cette expérience », confie-t-elle.

 

La sensibilisation par le livre…

 

Causé par un niveau de stress élevé au travail, le burn-out (anglicisme) ou état de fatigue intense, est une maladie professionnelle encore méconnue en Côte d’Ivoire. Travail salarié ou profession libérale, patron ou employé, homme ou femme, tout le monde peut en être victime, à n’importe quel moment de sa vie. Mauvais patrons, environnement de travail toxique, employés mal organisés ou manquant de confiance, origines personnelles… les causes du burn-out sont nombreuses. Les symptômes le sont également : repli sur soi, vertiges, troubles du sommeil, anxiété, maux de ventre, comportement agressif et même les pensées suicidaires pour les cas les plus graves. Aussi, plusieurs études concluent à une prévalence plus élevée chez la femme.

En Côte d’Ivoire, la majorité des personnes atteintes n’en ont pas conscience, et celles qui le savent préfèrent ne pas en parler par crainte des préjugés qui peuvent aller dans tous les sens. « Certains de mes collègues pensaient que j’étais dépressive et d’autres que je trichais dans le travail, puisque mon rendement avait vraiment baissé et j’étais devenue bizarre. Alors qu’il n’en était rien. », Raconte Nelly Laubhouet Mendonça. Aujourd’hui, des voix comme celle de Nelly commencent à s’élever dans la grisaille pour briser le tabou et susciter le débat autour de ce mal silencieux dont les conséquences vont de l’isolement au seuil même de la mélancolie.

Pour bien se faire entendre et comprendre sur cette problématique, elle n’y est pas allée mollement. Elle n’a pas publié un, mais deux ouvrages, simultanément, sur le sujet. L’un, son autobiographie intitulée « Sur la voie de l’épanouissement professionnel : le burn-out en Afrique, comment en arriver à bout ? » et l’autre, « Mon journal de vie », contenant les synthèses d’ateliers pratiques sur le burn-out, destiné aux personnes souffrant de la maladie. Nelly les a présentés officiellement, le 22 septembre. Et toujours dans l’idée de toucher le plus grand nombre et susciter l’intérêt autour du sujet, elle a opté pour une cérémonie festive avec la participation d’artistes de renom, mais également d’universitaires, d’experts de la santé mentale et de plusieurs hommes de médias.

« Le burn-out ne doit pas rester tabou en Côte d’Ivoire, car de nombreuses personnes en souffrent cruellement. Les pouvoirs publics, la communauté scientifique, les artistes, les journalistes, les Ong, tout le monde doit s’engager dans la sensibilisation. Quand je me suis rétablie, j’ai dû abandonner mon emploi pour me mettre à mon compte. Et aujourd’hui, mon ambition est d’aider les personnes qui traversent cette situation à en sortir, à se reprendre et aller de l’avant. Pour cela, j’ai en projet de créer un centre de bien-être pour venir en aide aux personnes en état de burn-out », indique-t-elle.

 

…et à travers les réseaux sociaux

 

Nelly Mendonça n’est pas seule dans ce combat contre le burn-out. Peu avant elle, c’était le web humoriste et vidéaste ivoirien, Ange Freddy, 29 ans, qui s’illustrait. Rescapé de ce syndrome lui aussi, il avait sonné l’alerte dans une vidéo d’une trentaine de minutes postée sur sa page Facebook. Comme il l’a expliqué dans cette séquence, il avait travaillé sans repos pendant une année entière pour faire plaisir et fidéliser ses centaines de milliers d’abonnés sur ces réseaux sociaux où il poste régulièrement ses vidéos comiques.

Après s’être remise de son burn-out, Nelly Laubhouet Mendonça s’est aussitôt engagée dans la sensibilisation (Dr)
Après s’être remise de son burn-out, Nelly Laubhouet Mendonça s’est aussitôt engagée dans la sensibilisation (Dr)

« Entre 2020 et 2021, je pouvais sortir trois à quatre vidéos par semaine, ce qui m’a valu d’atteindre le million d’abonnés sur Facebook et Instagram. Ça m’a donc permis d’avoir beaucoup d’abonnés, mais ça m’a conduit au burn-out », racontait-il dans la vidéo postée le 20 juin.

Et il ajouta : « je me sentais très mal physiquement et émotionnellement, mais je ne savais même pas de quoi je souffrais jusqu’à ce que j’échange avec Édith Brou qui m’a dit que je faisais un burn-out c’est-à-dire que j’étais à bout. Et le diagnostic à l’hôpital a confirmé cela. Ce que les gens négligent, parce qu’ils se disent qu’on est en Afrique et que c’est une maladie des Blancs ou que c’est de la dépression, est en fait la réalité. Le burn-out peut survenir à n’importe quel moment et touche tout le monde. Il faut donc se ménager quand on travaille; et surtout écouter son corps et s’arrêter quand il le faut ».

Son temps de traitement et de repos a duré plus d’un an. Cette page sombre étant tournée, Ange Freddy a repris ses activités de création de contenus tout en évitant désormais, dit-il, d’être en situation d’épuisement ou de stress. Il dit planifier efficacement ses tâches. Il s’est aussi engagé dans la sensibilisation au burn-out sur les réseaux sociaux. Et son message suscite de l’intérêt. Sa vidéo de sensibilisation du 20 juin a récolté plus de 300 000 vues et près d’un millier de commentaires dont des messages de soutien, des interrogations et des remerciements, comme celui de Don Morel qui a écrit : « Merci beaucoup, tu viens de m’apprendre beaucoup de choses que j’ignorais dans la vie professionnelle ».

 

Bien plus qu’une simple fatigue

 

Contrairement à Ange Freddy et Nelly Mendonça, Adrienne G., correctrice dans un grand quotidien de la place, n’est pas encore tirée d’affaire. Elle est actuellement en plein dans le burn-out. Elle le sait, pour avoir consulté un médecin. Il y a trois mois de cela. Elle ne se gêne pas pour autant d’en parler. Bien au contraire, elle cherchait une occasion pour le faire dans l’objectif de sensibiliser.

« Cela fait un bon moment que je me sens mal mentalement et dans ma peau. Je ne supporte plus mon travail or c’est un métier que j’exerce avec passion depuis 20 ans. Il faut dire que ce métier s’exerce sous la pression et ça bouffe la vie. Aujourd’hui quand j’arrive au bureau, j’étouffe. Je suis devenue froide avec mes collègues. Je suis même tombée de vertige dans la rue. Certains s’interrogent sur ma situation. Je m’interrogeais moi aussi jusqu’à ce que j’aille me faire consulter à l’hôpital et qu’on me dise ce qui ne va pas chez moi. Le burn-out est une réalité et ça n’a rien à voir avec une fatigue passagère. C’est bien plus grave », prévient-elle.

La maladie touche de nombreux travailleurs en Côte d'Ivoire (Dr)
La maladie touche de nombreux travailleurs en Côte d’Ivoire (Dr)

Adrienne est à bout de souffle. Mais, elle continue de travailler en attendant qu’un arrêt de travail lui soit accordé. A l’en croire, le médecin lui a recommandé de beaucoup se reposer dans un premier temps et de changer carrément de travail ensuite. « Ma hiérarchie ne s’est pas opposée à l’avis du médecin, car il y a déjà eu des cas similaires au sein de l’entreprise. Je continue de venir au bureau en attendant qu’on me trouve un remplaçant. Mais, je crois que je vais devoir stopper dans les prochains jours, parce que là, je n’en peux plus », s’afflige-t-elle.

La productivité d’Adrienne a considérablement baissé. Elle n’est visiblement pas enthousiaste, constamment repliée sur elle-même. Les signes de détresse sont bien visibles sur son visage et dans son attitude.  « Des fois, elle parait normale, mais la plupart du temps depuis un moment, elle n’est pas agréable. Elle est plutôt timorée, renfermée sur elle-même. Et j’ai l’impression que ce n’est pas la même personne. Il y a quelque chose qui ne va pas bien chez elle. J’espère qu’elle s’en remettra », espère un de ses collègues.

FAUSTIN EHOUMAN


Les femmes sont les plus touchées avec 74% des cas

Prof. Asseman Médard Koua, coordonnateur du Programme national de santé mentale (Pnsm).
Prof. Asseman Médard Koua, coordonnateur du Programme national de santé mentale (Pnsm).

En Côte d’Ivoire, selon le Programme national de santé mentale (Pnsm), environ 60 000 personnes ont des problèmes de santé mentale. Le burn-out, qui en fait partie, touche tous les secteurs d’activité avec plus d’ampleur chez les travailleurs de la santé. Mais certains psychologues du travail comme le docteur Guillaume Ané citent aussi le secteur des finances. Avec 74% des cas, les femmes sont les plus touchées par ce syndrome en Côte d’Ivoire.

« Un agent sur deux avait le burn-out au service de gynécologie du Chu de Cocody, après une étude qui y a été réalisée il y a quelques années. En 2022, une autre étude réalisée dans les trois Chu d’Abidjan, pendant la crise de la Covid-19, a montré que 59,47% du personnel hospitalier étaient en épuisement professionnel », révèle Prof. Asseman Médard Koua, coordonnateur du Programme national de santé mentale (Pnsm).

Pour répondre à cette problématique, explique-t-il, le programme a créé un pôle de santé mentale au travail et gestion du stress qui a pour mission de réduire l’impact des problèmes psychologiques sur la santé globale des travailleurs, sur la productivité et les performances des structures publiques et privées à travers des activités promotionnelles et préventives.

Le 10 octobre, à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la santé mentale, organisée en Côte d’Ivoire par le Pnsm, deux grandes recommandations ont été faites : ne pas stigmatiser les personnes ayant un problème de santé mentale et faire en sorte que les malades ne cachent pas leur mal afin qu’on puisse les prendre en charge tôt et éviter que leur situation n’empire.

 

Le niveau de stress jugé élevé en Côte d’Ivoire

 

Le niveau de stress en Côte d’Ivoire est variable selon le secteur professionnel. Cependant, de manière générale, il est jugé élevé par le Pnsm qui évoque des statistiques fournies par différentes études réalisées pendant ces 10 dernières années.

Dr Estelle Akissi Gbappa, médecin du travail et spécialiste au Programme national de santé mentale (Pnsm).
Dr Estelle Akissi Gbappa, médecin du travail et spécialiste au Programme national de santé mentale (Pnsm).

« Selon une étude réalisée en 2014 chez les salariés d’une société de transport à Abidjan, 77% des travailleurs déclaraient avoir vécu un épisode de stress. Une autre étude sur le stress en milieu portuaire à Abidjan, réalisée entre 2015 et 2016, indique que la prévalence du stress était de 54,6%. En 2019, deux autres études sur le personnel soignant du Chu de Bouaké et d’une formation sanitaire urbaine d’Abidjan ont objectivé respectivement des prévalences de stress à 22,5% et 56% », argue Dr Estelle Akissi Gbappa du Pnsm.

Et elle poursuit : « Une étude plus récente sur le stress à l’hôpital général de Marcory a montré une prévalence du stress de 24,7% chez le personnel soignant. En 2021, une étude réalisée chez les gendarmes dans des casernes à Abidjan avait révélé une prévalence du stress de 71,7%. Le domaine de l’éducation est aussi concerné. 27% des enseignants du secondaire à Agboville évalués en 2021 souffraient de stress ».

Les autorités ivoiriennes se montrent pourtant préoccupées par la question de la santé mentale au travail. En plus de la mise en place d’un programme dédié – le Pnsm – la loi de 2015 sur le code du travail fait obligation à tous les employeurs de promouvoir et maintenir le plus haut degré de bien-être physique, mental et social de tous les travailleurs, dans tous les corps de métiers. Les visites médicales doivent être régulières, ainsi que le suivi de la santé des travailleurs.

« Toutes ces dispositions sont prises afin de prévenir les impacts négatifs que pourrait avoir le travail sur la santé. Mais les résultats sont encore mitigés. Ce qui démontre que l’État et les décideurs du secteur privé ont encore beaucoup à faire », estime Dr Estelle Akissi Gbappa.

 

Les recommandations de l’Ugtci

 

La santé physique et mentale des travailleurs sur le lieu de travail fait partie des préoccupations majeures de l’Union générale des travailleurs de Côte d’Ivoire (Ugtci). C’est ce qui explique l’engagement de cette faîtière des travailleurs dans la sensibilisation à l’endroit des entreprises sur cette question, en particulier sur le burn-out.

« L’employeur doit créer les meilleures conditions à ses employés sur le lieu de travail. Qu’il s’agisse du secteur public comme du privé, les travailleurs doivent être mentalement sains non seulement pour éviter le burn-out, mais aussi dans l’intérêt de l’entreprise. C’est pourquoi nous recommandons fortement aux entreprises d’avoir en leur sein un psychologue ou à défaut d’être rattachées à un cabinet de psychologue pour assurer un bien-être mental aux travailleurs », recommande Gérard Donzo Boidou, responsable de la communication de l’Ugtci.

A l’en croire, si la plupart des entreprises affiliées à la faitière ont intégré la nécessité d’avoir un système de sécurité et santé en leur sein, peu sont celles qui ont recours régulièrement aux services d’un psychologue. « Beaucoup d’entreprises n’en mesurent pas encore l’importance. Trimestriellement, semestriellement ou annuellement, en tout cas de façon périodique, un psychologue doit passer contrôler les travailleurs. C’est essentiel et ça permet d’éviter ou prévenir les cas de burn-out et les autres affections mentales », conseille-t-il.

F. EHOUMAN


Un lien avec les suicides récurrents ?

Le burn-out contribue à la détérioration de la santé mentale selon les spécialistes de la question (Dr)
Le burn-out contribue à la détérioration de la santé mentale selon les spécialistes de la question (Dr)

La Côte d’Ivoire, selon une étude récente, est le troisième pays africain le plus touché par le suicide. Sur le plan mondial, elle occupe la 23e place avec, en moyenne, une vingtaine de suicides chaque année. Cette année, on a dénombré plusieurs cas dont deux étudiants et une enseignante. Le Programme national de santé mentale (Pnsm) pense que les problèmes de santé mentale y sont pour quelque chose. Et selon Dr Estelle Akissi Gbappa, médecin du travail et spécialiste de la santé mentale au Pnsm, le burn-out peut être un grand facteur de risque pour le suicide.

« Le burn-out peut contribuer à la détérioration de la santé mentale et physique d’une personne. Celles qui en souffrent peuvent éprouver des sentiments d’épuisement, de désespoir, d’isolement social et de perte de sens qui peuvent augmenter leur vulnérabilité aux troubles mentaux tels que la dépression et l’anxiété », explique la spécialiste.

Cependant, explique-t-elle, « il est important de noter que le suicide est un phénomène complexe et qu’il peut avoir de nombreuses causes. Le burn-out ne doit pas être considéré comme la seule cause du suicide et il est important de prendre en compte tous les facteurs qui peuvent contribuer à ce phénomène ».

F. EHOUMAN


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