Marcory Zone 4, Riviera, Treichville, Deux-Plateaux… les fumoirs à cigares font un tabac à Abidjan, tandis que l’usage de ce produit, autrefois réservé à une certaine classe sociale, se démocratise et gagne le cœur des jeunes de la classe moyenne. Reportage.
Lumière tamisée, musique soul en fond sonore, ameublement sophistiqué… l’ambiance est cosy à l’intérieur du club ce soir du 20 août. L’odeur captivante du cigare y est bien répandue. Le cadre spacieux au design épuré et l’atmosphère feutrée provoquent des effets apaisants. Et donnent envie d’y rester longtemps.
Les clients habituels de ce club cigare ouvert, il y a seulement quelques mois du côté de la Riviera 3, sont au rendez-vous. Beaucoup d’entre eux sont des adultes et des gens d’un certain âge, plutôt mûrs et aisés. Mais ce soir, il y a aussi des jeunes. Et ils sont les plus nombreux. C’est le constat que l’on fait dans plusieurs quartiers d’Abidjan où l’on retrouve des clubs de ce genre.
Alain et Patrick font partie de ces jeunes, amateurs de cigare. Look simple et stylé, les deux amis sont déjà bien installés quand nous arrivons dans ce club vers 23 h. Les grosses tiges de cigare haut de gamme embouchées et qu’ils tiennent par le pouce, l’index et le majeur, en rajoutent à leur classe. Ils occupent confortablement un salon de cuir tout à fait au fond. Comme la veille, ils se sont retrouvés encore cette nuit dans ce fumoir à cigares, pour consommer ce produit qui les a visiblement conquis.
« J’aime bien fumer le cigare à cause de l’odeur et l’effet de grandeur que ça procure. Je voyais mon grand-père en fumer quand j’étais plus jeune et j’aimais la façon dont il les tenait. Ça me paraît cool et ça donne un genre. Je peux en fumer deux ou trois par semaine », affirme Alain. Contrairement à ce qui est courant, Alain ne fumait pas la cigarette avant de se mettre au cigare. Il consomme ce produit du tabac juste pour frimer.
Patrick, par contre, s’est mis au cigare pour pouvoir abandonner la cigarette qui commençait à lui causer des soucis de santé. Il pense que c’est moins nocif. « Pour ce que je sais, le cigare n’est pas si dangereux que ça pour la santé. Parce qu’il faut en fumer beaucoup pour courir des risques. C’est pour cela que je suis passé au cigare. J’ai une cave à cigares chez moi. Souvent, on vient avec d’autres amis qui sont dans la même situation que moi », fait savoir Patrick.
Payer cher pour se tuer
Ce soir, leur table est bien garnie. A côté des accessoires du cigare (coffrets, briquet gaz, cendrier etc.), des verres à liqueur à moitié remplis de cognac pour l’un et de Whisky pour l’autre scintillent. Une bouteille de champagne renforce l’attrait de la table. Alain et Patrick l’ont offerte aux quatre serveuses qui leur tiennent compagnie. Un coup d’esbroufe, qui a un coût. Car, leur facture avoisine déjà les 200 000 F Cfa. Comme quoi, fumer le cigare n’est pas donné à tout le monde. Autant dire que c’est pour les riches.
« Je ne fume que les cubains. Ça coûte un peu cher, mais ça en vaut la peine. La saveur est si agréable. Alain, lui, n’a pas vraiment de préférence. Si tu n’as pas les moyens, tu ne peux pas te mettre au cigare. A chaque soirée ici, l’addition ne fait pas moins de 150 000 F Cfa. Sans compter le fait qu’on vient ici trois à quatre fois dans la semaine. Ce soir par exemple, on sera forcément à plus de 200 000 F Cfa en incluant la boisson », dit Patrick.
S’ils peuvent s’offrir cette passion du cigare, c’est parce qu’ils en ont les moyens. En effet, Alain, 34 ans, et Patrick, 35 ans, sont tous deux des cadres supérieurs dans leurs différentes entreprises. Ils font partie de ceux qu’on appelle les jeunes cadres dynamiques, c’est-à-dire ces jeunes hommes et femmes qui occupent des postes de responsabilité dans les administrations publique et privée. La nouvelle tendance de ces jeunes dits de la classe moyenne ou supérieure, c’est le cigare. Le commentaire de la gérante du club confirme ce constat. « La majorité des nouveaux clients qu’on reçoit sont des jeunes. En tout cas, des personnes qui n’atteignent pas 40 ans. Généralement, ils viennent en groupe et consomment beaucoup. Nous vendons plusieurs dizaines de cigares les week-ends. Après seulement quelques mois d’ouverture, nous avons presque atteint notre vitesse de croisière », confie-t-elle.
Effet de mode
Effet de mode, idée d’appartenance à l’élite ou signe extérieur de réussite sociale, le cigare gagne depuis quelques années le cœur des jeunes de la classe moyenne abidjanaise. Ce produit du tabac et donc toxique est sorti de son ghetto, de l’entre soi des classes aisées et adultes, pour se populariser. De plus en plus, des jeunes hommes et femmes s’adonnent à ce plaisir épicurien. Cela a favorisé l’ouverture de nombreux clubs cigare à Abidjan, où les aficionados se retrouvent pour partager leur passion. On en trouve dans les quartiers comme Marcory Zone 4, Cocody-centre, Deux-Plateaux les Vallons, la Riviera 3 et la Riviera-Palmeraie. Certains club cigares ont toutes les commodités et d’autres sont de fortune. Des bars, boîtes de nuit et même des caves ont commencé à créer en leur sein des espaces cigare.
La demande croit donc, et ça fait l’affaire de certains. Claver G., promoteur d’événement, que nous rencontrons cette même nuit du 20 août, dans une cave à Treichville, s’est lancé récemment dans la vente des cigares. Et ça marche bien pour lui. « J’y ai vu une opportunité de business et je me suis lancé. Mes stocks s’écoulent vite », confie-t-il fièrement. Et il ajoute : « Je ne sais pas ce qui explique cet intérêt soudain que les jeunes ont pour le cigare, mais je pense que c’est un besoin d’affirmation de soi. Quand un jeune a réussi et qu’il veut le montrer à son entourage, il se met au cigare. J’ai beaucoup de clients de profils différents. Beaucoup d’entre eux n’avaient jamais touché à la cigarette. Il y a des fonctionnaires, des entrepreneurs, et même des gens à revenus moyens. Mais ceux-là n’en consomment pas tout le temps ».
Parmi les clients de Claver, il y en a qui ont fait du cigare une habitude et d’autres qui n’en consomment qu’occasionnellement. C’est le cas d’Ibrahim et de sa petite sœur Sarah, des entrepreneurs qui tiennent ensemble une petite entreprise qui offre divers services. Ils n’allument un cigare que lorsqu’ils doivent célébrer un succès. « Je ne bois pas d’alcool et je ne fume pas la cigarette non plus parce que ça, c’est dangereux. C’est devenu une habitude, à chaque fois qu’on atteint un objectif, on marque notre joie en allumant un cigare. Ça au moins, ce n’est pas dangereux », croit Ibrahim. Et Sarah d’ajouter un brin taquin : « à chaque fois que je tiens un cigare, je me sens plus sexy (rires)».
L’usage du cigare s’est répandu auprès de la jeunesse ivoirienne, avec tous les risques que cela comporte. Cohiba, Davidoff, Partagas, Montecristo, Oliva et bien d’autres marques de renommée internationale ont de plus en plus d’adeptes en Côte d’Ivoire.
FAUSTIN EHOUMAN
Le cigare plus nocif que la cigarette
Fumer le cigare est souvent considéré, à tort, comme moins nocif pour la santé que fumer la cigarette, sous prétexte que ce ne serait que du tabac et donc un produit naturel. C’est justement cet argument que le docteur Nestor Koffi, chargé de l’information, l’éducation et la communication au Programme national de lutte contre le tabagisme et les autres addictions (Pnlta), utilise pour rectifier ces idées reçues. « Tous les produits du tabac sont addictifs et nocifs pour la santé puisqu’ils contiennent les mêmes éléments toxiques et cancérigènes. Pour le cigare, il est encore plus nocif car il est moins travaillé et donc plus dur. Contrairement à la cigarette, la fumée du cigare n’est pas filtrée », justifie-t-il.
De plus, selon plusieurs experts dont ceux de Hcl (Hospices civils de Lyon), spécialistes des questions liées au tabagisme, un amateur de cigares a même quatre fois plus de risques de développer un cancer de la bouche ou du pharynx et dix fois plus de risques de développer un cancer du larynx. Les risques de cancer du poumon et de maladies cardiovasculaires augmentent avec le nombre de cigares fumés. Et le risque de cancer du poumon est multiplié par trois lorsque le fumeur inhale la fumée dans sa bouche.
Ces études vont plus loin en précisant que fumer le cigare n’a pas de conséquences néfastes que pour le fumeur, mais également pour son entourage. Par rapport à une cigarette fumée à 70 %, un gros cigare fumé au même taux émet environ 20 fois plus de monoxyde de carbone, cinq fois plus de particules et deux fois plus d’hydrocarbures aromatiques.
F. EHOUMAN
La petite histoire du cigare
Le cigare est un produit du tabac qui remonte à des siècles en arrière et qui a traversé de nombreuses époques et cultures. Bien que son origine exacte soit encore sujette à débat, il est largement accepté que les premiers cigares ont été fabriqués par les Mayas et les Aztèques, des peuples indigènes d’Amérique centrale, il y a plus de 2000 ans.
L’histoire raconte que ce sont les explorateurs espagnols qui, lorsqu’ils débarquent sur les côtes cubaines à la fin du XVesiècle, remarquent que les indigènes inspirent la fumée émanant de la combustion de plantes. À leur retour sur le continent européen, ils y viennent les malles pleines de tabac. Mais il faudra attendre l’an 1676 pour que le cigare naisse dans la forme que nous lui connaissons aujourd’hui. Ce sont les milieux bourgeois qui s’en saisissent les premiers. Fumer un cigare devient très vite signe de raffinement. Avec certains plaisirs de la table, il constitue le nec plus ultra du savoir vivre.
En Afrique, ce sont les colons qui l’introduisent. Et au lendemain des indépendances, ce sont une fois encore les milieux nantis qui tirent les premières bouffées. Pendant longtemps donc, le cigare a été associé à la richesse, à l’opulence et à l’abondance de biens.
F. EHOUMAN